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PHOTOREPORTAGE

Les travailleurs du soufre au XXI siècle. Volcan Ijen, Indonésie

 

L'extraction du soufre dans l'île de Java apparaît assez éloigné du progrès technologique comme des droits du travail. Des centaines des mineurs se rendent chaque jour au Kawah Ijen pour extraire à la main des blocs de soufre et les porter sur leurs épaules pendant des kilomètres. Les conditions de travail sont particulièrement précaires: pas de salaire fixe ni de sécurité sociale, pas même de protection lors du travail. Ils sont payés au poids du soufre transporté, soit 0,36 euros les dix kilos. Ils n'ont pas de protection sociale en cas de problèmes de santé et ils n'utilisent ni masque, ni gants pour se protéger lors du travail.

 

Il fait encore nuit quand les mineurs grimpent le versant du volcan avec leurs paniers vides en bambou tressé. Puis, ils descendent et s'installent au fond du cratère, à côté du lac turquoise le plus acide du monde. Là, une fumerolle très toxique envahit l'air, rendant difficile la respiration pour des personnes, comme moi,  étrangères à cet environnement. Sortant de terre à l'état gazeux, le soufre se refroidit et passe à l'état liquide pour se cristalliser immédiatement. Les mineurs récupèrent ces concrétions de soufre et déposent les blocs dans les paniers en étant particulièrement attentifs à ce qu'ils soient bien équilibrés pour pouvoir les porter. Ensuite, panier à l'épaule, ils remontent le cratère et reprennent le chemin qui conduit à la vallée, où ils vendent leur récolte à l'entreprise en charge de l'exploitation du volcan. Faisant environ 70 kilos, un panier moyen est payé trois euros alors que son remplissage et son transport auront pris environ quatre heures de travail.

 

Entre temps, tout au long du trajet, les travailleurs rencontrent des touristes qui sont venus les voir. En effet, la contemplation de ce volcan atypique, offrant un panel de couleurs magnifiques dérivées des divers états du soufre (le blanc des gaz, le turquoise du lac, les jaune et orange du minerai), se complète par le triste spectacle d'un travail manuel que l'on aurait cru disparu. La beauté du paysage contraste ici avec la surexposition des mineurs aux dangers de l'environnement. La cohabitation durant des heures avec les composés chimiques des vapeurs du solfatare et de l'évaporation du lac acide a des effets nocifs pour leur santé, attaquant les yeux, la peau et les muqueuses, entraînant des conséquences à vie. Quand on leur demande, les mineurs nient le caractère toxique des gaz et affirment ne pas avoir de problèmes de santé dérivés du travail, un déni probablement nécessaire pour pouvoir s'y rendre chaque jour et faire de son mieux.

 

Cette rencontre entre touristes et travailleurs m'a perturbé. Les uns, en voyage, plus ou moins engagés avec les réalités qu'ils découvrent, leurs portefeuilles remplis, leurs sacs à dos légers. Les autres, vivant une routine qui est pour eux hors du questionnement, concentrés dans la dure tâche physique de porter ces kilos tout au long d´un chemin sinueux et irrégulier. Mais quelque chose d'étonnant s'opère dans cette rencontre. Du côté du touriste, la curiosité est bien évidemment garantie, c'est pour cela qu´il s'y est rendu. Mais j'ai été surprise de retrouver également cette curiosité chez les mineurs. En effet, ils ne se montrent jamais indifférents à la présence du visiteur. Les raisons économiques apparaissent comme des facteurs évidents de cet intérêt. On demande au touriste d´acheter des petites miniatures en soufre faites par les mineurs, ou de  donner de l´argent en échange des photos prises. Le mineur essaye aussi de vendre ses services en tant que guide touristique dans la région du volcan. Mais les motivations économiques ne semblent pas suffisantes pour rendre compte de l'attention des mineurs à l'égard des visiteurs du volcan. Même si le touriste refuse toutes les propositions d'achat, le mineur gardera son sourire ainsi qu’un regard curieux et accueillant envers celui qui l'observe.

 

Comment interpréter ces regards-caméra? On peut penser qu´ils n´ont pas le choix et se servent au moins de ce canal de diffusion pour faire connaitre leur réalité. Ou alors s’agit-il plutôt d’une sorte d’empathie envers celui qui se montre sensible à leur situation ? Ou est-ce, finalement, de la simple curiosité envers un autre être humain, venu de très loin, lui aussi porteur d'une réalité inconnue pour le mineur ?

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